RETROSPECTIVE
- Parle-nous un peu de ta formation musicale.
Comment es-tu devenu musicien ?
- Parcours traditionnel : piano classique
au conservatoire de Paris, harmonie, puis les studios d’enregistrement
de la capitale. Après je me suis occupé avec Joël Fajerman
de « Phonorgan », le premier magasin spécialisé
dans les synthétiseurs. De là, rencontre avec Michel Geiss,
puis Jean Michel Jarre.
- On a beaucoup entendu parler de ton travail
de démonstrateur. Pour quelles marques as-tu exercé ce poste
?
- Tout d’abord Korg, ensuite Roland ; j’ai
également travaillé pour Ensoniq, spécialement sur
le TS12 .
- Peux-tu nous parler de tes travaux personnels
?
- J’ai enregistré une dizaine d’albums
de fonds sonores chez EMI mais je ne me suis jamais investi pour un album
personnel par manque certainement de volonté et par une certaine
pudeur. Pour l’instant je m’occupe beaucoup de l’univers du multimédia
et je compose pour plusieurs titres chez UBI-SOFT. La musique de CD-ROM
a beaucoup évolué, le travail s’apparente de plus en plus
à de la musique de film, et cela me passionne.
- As-tu travaillé pour d’autres artistes
que Jean Michel Jarre ?
- Oui... plusieurs... Laurent Faucheux, Dominique
Perrier, Michel Geiss !... Mon poste de démonstrateur et la collaboration
avec Jean Michel Jarre ne m’ont jamais laissé le temps de m’occuper
d’autres. Et puis sincèrement je n’en ai jamais eu l’envie sauf
pour Laurent Voulzy... Qui sait ?...
LES
CONCERTS DE JEAN MICHEL JARRE
- Alors justement, parlons de Jean Michel Jarre
: on sait que tu l’as rencontré à l’occasion du concert de
la Concorde, tu lui avais prêté tes synthés, c’est
bien cela ?
- C’est exact. Je travaillais pour Korg et
Michel Geiss est venu me demander un renfort de claviers pour ce concert.
A l’époque je jouais avec une quinzaine de synthés, boite
à rythmes, séquenceurs pour la promotion de cette marque.
J’avais donc une certaine expérience du live et des contraintes
techniques liées à ces instruments.
- Et en fait ton premier concert c’est celui
de HOUSTON ?
- Oui, excepté la tournée en
Chine, j’ai participé à toutes les aventures...
- Et quel est le concert qui t’as le plus marqué
?
- Houston évidemment, c’était
la première du « FRENCH-MUSIC-COMMANDO » et c’est inoubliable.
Mais la Russie reste un moment émotionnel intense car il y avait
le cadre (devant l’Université de Moscou), parce qu’il y avait ce
pays complètement bizarre et parce que l’on venait d’une tournée
« indoor » et se retrouver sur une scène démesurée,
dans une nouvelle aventure pleine de risques remettait tout en question.
- Question piège : quel est le morceau
que tu préfères jouer en concert ?
- Le prochain titre de Jean-Michel !...
- Très bien, et celui que tu aimes le
moins jouer ?
- Aucun. Cela ne peut se produire car on en
discute longtemps à l’avance. Il est arrivé parfois que l’on
ne soit pas d’accord pour un titre mais la seul raison est qu’il ne correspondait
pas à la scène et que l’alchimie du travail de studio n’aurait
pu être exécutée en live.
LES
ALBUMS DE JEAN MICHEL JARRE
- A quels albums as-tu participé ? C’est
à partir de Révolutions, c’est ca ?
- Oui, exactement. Avant j’amenais des sons
chez lui et il y ajoutait sa « patte ». Mais c’est vraiment
à partir de Révolutions que j’ai pu m’investir plus sérieusement.
-
Peux-tu nous expliquer par exemple quel a été ton rôle
sur Oxygène 7-13 ?
- Jean-Michel m’a appelé pour enregistrer
cet album de « retour aux sources » et en fait je suis resté
avec lui et Patrick Pellamourgues, enfermé pendant plusieurs mois
dans son studio personnel où nous avons réalisé ce
CD. J’ai donc eu un rôle de musicien de séances, de collaborateur
et d’assistant de production, Patrick, lui, maîtrisant tout le domaine
de la prise de son. On a donc construit l’album tous les trois.
- Comment se passent les séances avec
Jean Michel Jarre ?
- Le boss ?... C’est une crème !...
- Il sait ce qu’il veut ?
- Oui et habituellement il l’a déjà
fait mais il cherche à aller plus loin. Parfois on arrive à
aller au-delà, par exemple dans un son qu’il a trouvé on
va en proposer un autre, mais c’est rare. Il a tout dans la tête
et ce qu’il a fait sur une première esquisse on le peaufine en studio.
Nous sommes là pour essayer de temporiser toutes ses idées
et il en a beaucoup !... S’il fallait mettre sur un album tous les sons
et toutes les phrases, ce serait un triple-album ! Donc on est là,
et ça a été le cas de Michel Geiss souvent, pour essayer
de trier un peu tout ça, et le persuader que ce titre là
on le mettra sur le prochain...
- Une autre question piège : quel est
ton album préféré ?
- Révolutions, je crois. Car il a un
côté « Victor Hugo », épique si tu veux,
et aussi parce que je le considère comme inabouti (et ce n’est pas
une critique). Il me donne à chaque écoute l’envie d’aller
plus loin . C’est très étrange.
- Et quelles sont selon toi les grandes qualités
de la musique de Jean Michel Jarre ?
- Simple : il fait du Jarre ! Et j’espère
que dans les années, les mois et peut-être même les
heures qui viennent, il va continuer à faire du Jarre. Moi je me
méfie de toute musique qui engendre un costume ou une coupe de cheveux
: je me méfie de la techno, du rap et de la musique militaire pour
les mêmes raisons. Je trouve ces déclinaisons suspectes !
Jean-Michel, sa musique n’engendre pas ce genre de sectarisme. C’est de
la musique avec son style à lui et ça c’est très fort.
Même s’il est influencé, c’est un musicien qui vit avec son
époque, il fait de la musique à lui.
- Quels sont tes instruments préférés
?
- Je ne suis pas un collectionneur fou de
synthés. Ca dépend un peu de l’air du temps. Disons que je
reste très attaché aux sampleurs Roland que je considère
comme les meilleurs, le 760 notamment. Les claviers c’est Nord Lead et
puis j’ai des flashes : j’ai craqué pour le Yamaha AN1x sans être
accroc à la marque, ce petit synthé est sympa, simple et
sonne bien. Je possède également quelques « vintages
» comme un Vocoder VP330, un Prophet One et quelques autres goodies
!
- As-tu un conseil à donner aux musiciens
qui se lancent ?
- Persévérer (je me décourage
rapidement), avoir du culot (j’ose pas) et se dire que ce que l’on fait
est bien (je manque de confiance en moi). Bref tout ce que je ne fais pas
! Plus sérieusement faire de la musique sans préjugés
et sans concessions me parait le dicton du jour.
GOUTS
MUSICAUX
- Quelle musique apprécies-tu en dehors
de celle de Jean Michel Jarre ?
- Je n’aime pas un style de musique, j’aime
les titres ou les individus : pour te situer l’éclectisme du personnage,
voici les derniers albums que je me suis procurés : Julien Clerc,
Janet Jackson, Stone Age (dans lequel joue mon pote Dominique Perrier),
Marc Lavoine, MC Solar et un ancien disque de Gino Vanelli, Storm At Sunup,
dont je suis toujours aussi fan (en édition d’ailleurs chez un certain
Francis Dreyfus). J’aime la musique qui raconte quelque chose. Le côté
rythmique répétitive de boucles écrasées par
une distorsion sauvage c’est vraiment pas mon truc.
- Et la musique classique ?
- Elle aussi a engendré un costume...
Dommage ! Et puis je n’ai pas la prétention de pouvoir en interpréter,
c’est un métier beaucoup plus sérieux que le mien...
- Que penses-tu de la musique techno et des
remixes ?
- Vaste sujet plein de contradictions. La
musique techno est souvent remplie de « clichés » et
ce côté figures imposées – et hop la TR808 et hop j’ouvre
le filtre etc. – me lasse rapidement. Bien sûr je caricature mais
j’ai tendance à écouter cette musique plus comme un exercice
de style (parfois très bien réalisé) que comme une
source émotionnelle. Quant aux remixes je te propose ces quelques
réflexions en vrac :
- Quand j’entends le travail superbe de création
sonore de certains remixes je me demande pourquoi les remixeurs ne l’appliquent
pas à leur propre composition...
- Pour moi le « remix » c’est
souvent de la chirurgie esthétique, tout dépend du modèle
et du praticien.
- Si l’on appliquait cette mode aux livres
scolaires, Vercingetorix, Louis XVI et Bonaparte apparaîtraient la
casquette à l’envers sur le crâne, les Nike aux pieds, sous
prétexte de mieux les incorporer à notre époque et
pour laisser s’exprimer nos historiens contemporains !
Bon tu l’as compris, je ne suis pas spécialement
pour mais j’entends parfois de superbes réalisations et je me laisse
prendre au jeu. Mais est-ce que tout cela ne cacherait pas une démarche
quelque peu mercantile ?...
Le cas de Jean-Michel et Odyssey Through O2
est complètement différent car on a ici un créateur
qui donne à remixer ses compositions afin que d’autres musiciens
s’expriment au travers de son album (alors que l’on a affaire bien souvent
à des pilleurs sans scrupules qui puisent allègrement dans
tout répertoire sans pour cela mentionner leurs sources). Mais concernant
la musique de Jean Michel Jarre comme au départ on a déjà
une partition de talent je ne vois pas où est le mérite des
remixeurs... Donc en résumé le mérite d’un DJ est
pour moi inversement proportionnel à la qualité de l’œuvre
au départ ; exemple : Laurent Garnier mixant les titres de Laurent
Garnier a du mérite !
L’AVENIR
- Sinon quels sont tes projets immédiats
?
- Déjeuner avec mon pote Michel Geiss
dès que j’aurai fini de raconter mes bêtises, et m’acheter
une canne à pêche en fibre de carbone.
- 6 mètres la canne à pêche
?
- Oui bien sûr, pour la pêche
au coup, pas la pêche sportive ! Plus sérieusement, je me
suis intéressé depuis plusieurs mois à l’informatique
musicale. C’est un peu comme le sac d’une femme : il y a un bazar pas possible
mais en cherchant bien on trouve toujours quelque chose pour embellir.
J’ai testé des logiciels comme Rebirth de Steinberg, Recycle, Virtual
Waves mais mon préféré reste JArKaos, à tel
point que je l’ai en permanence sur mon PC et qu’il m’aide pour composer.
Je vais travailler prochainement sur l’habillage d’un jeu sur CD-ROM très
violent (ça va me défouler !) et continuer à suivre
les aventures de Jean Michel Jarre...
CONCLUSION
- As-tu une anecdote qui te vient à
l’esprit ?
- Jean Michel Jarre avait pris l’habitude
de nommer les titres pendant les concerts indoor. Alors que nous entamions
généreusement Equinoxe IV, le boss annonce « et maintenant
Chants Magnétiques ». Les séquenceurs étaient
lancés, Laurent Faucheux appuyait déjà la rythmique
bref on se regardait tous aussi coincés qu’une poule dans une tanière
de renards ! Et bien sans se démonter le moins du monde alors que
tous ses braves musiciens essayaient de se sortir de ce pétrin,
Jean-Michel a tout simplement ajouté : « mais avant... Equinoxe
IV », ce qui déclencha une ovation bien réconfortante.
Il est comme ça le boss...
Propos recueillis par Damien Cohas et Frédéric
Esnault.
Un grand merci à Francis pour sa contribution.
(extrait d'Oxygène n° 2, juin 1998)