METAMORPHOSES (2000)
     
 

Un album qui, comme son nom l’indique, est placé sous le signe du changement.

D’abord, Jean Michel Jarre n’a pas produit ce disque comme il l’avait fait pour les autres. Il est parti seul dans le sud de la France pour commencer la composition. Il s’est isolé pour renouveler son inspiration puis est revenu en studio après plusieurs semaines et a travaillé toute la production sur ordinateur, ce qui était pour lui une première. Jamais en effet, son travail n’a autant reposé sur des éléments logiciels. L’ordinateur avait beau faire partie de l’univers de Jarre depuis très longtemps, il a fallu attendre l’arrivée des dernières révolutions du traitement numérique du son pour qu’il prenne une place essentielle dans le processus de production.

Assisté de Joachim Garraud de Square Production, Jean-Michel a utilisé le logiciel Pro Tools et ses « plugins » de manière intensive. Le travail a donc consisté à rassembler des éléments, échantillons issus d’horizons divers, voix, synthétiseurs analogiques ou tous derniers numériques, et à les remodeler avec l’ordinateur pour obtenir le résultat final. Même le mixage a été réalisé sur le logiciel.

Voilà pour le côté technique, mais le résultat est encore plus surprenant qu’il aurait pu être : le nouvel album de Jean Michel Jarre est un ensemble de titres chantés qui adoptent une ambiance toute nouvelle. L’artiste a repris ses activités de parolier pour son propre compte et se met à chanter lui-même ! D’autres voix viennent le rejoindre, de Laurie Anderson à Natacha Atlas, en passant par Dieidre Dubois ou Véronique Bossa. La révolution est là : Jarre abandonne l’instrumental pur et dur.

Mais il s’agit toujours de musique électronique et elle est riche en surprises : l’ordinateur sert de levier à toutes sortes de transformations. Le travail d’échantillonnage, qui avait connu son heure de gloire avec Zoolook, revient ici en force. Le concept d’objet sonore, cher à Pierre Schaeffer, le maître de Jean Michel Jarre pendant ses années passés au G.R.M., reprend tout son sens. Ces objets sont mélangés, transformés, sont digérés par la machine pour former une musique qui déborde toujours d’émotion.

Il faut dire que le charme de cette musique est immense et il fait la différence. L’album commence par « Je me souviens », sorte de fable faite de pictogrammes sonores, formés par des mots chargés de sens qu’égraine Laurie Anderson tandis que Jean-Michel « se souvient ». Il s’en dégage une ambiance sereine et poétique qui rappelle le début d’Ethnicolor. On retrouve très vite un joli ballet de séquences accompagné par une mélodie sur un son de piano-pleureur. La rythmique est riche en surprises, syncopée et agrémentée de sons de toutes sortes qui participent à notre mémoire collective.

« C’est la vie » prend le relais. Chanté par la talentueuse Natacha Atlas, ce titre est une chanson qui mêle trois langues : l’anglais, le français et l’arabe. On retrouve les surprises sonores, avec des sons insolites ou au contraire très familiers. Les nappes rendent l’ensemble planant alors qu’une séquence de basse qui rappelle celle d’Oxygène 8 donne de la vie au morceau. L’ambiance est très arabe, avec l’intervention centrale de la chanteuse et d’un violon joué à la manière orientale. Mais l’intérêt de ce titre reste la progression ascendante dans une structure qui nous fait oublier couplets et refrains. Le tout est inévitablement envoûtant !

Le tempo se ralentit avec « Rendez-vous à Paris ». Sur un rythme insolite et pesant, Jean Michel Jarre nous donne rendez-vous dans la capitale. La mélodie, simple et lancinante, laisse filtrer les amusements sonores les plus divers. Un beau moment d’extase que vient conclure la charmante intervention de Sharon Corr au violon.

« Hey Gagarin » est le titre planant par excellence ! C’est un beau délire qui nous envoie tous en orbite... L’introduction lente nous conduit vers une rythmique obsédante, ponctuée par une ligne de basse répétitive et une pluie de sons « cosmiques ». Alors Jean Michel Jarre chante pour interpeller le premier cosmonaute. C’est frais et vivifiant, plein de jolies subtilités qui s’accrochent à une structure musicale imprévisible.

« Millions of Stars », imaginé par Jean-Michel observant les étoiles au pied de pyramides d’Egypte, est le passage le plus « classique » au sens où il rappelle l’ambiance d’Oxygène et Equinoxe. Des sons doux et éthérés portent une lente mélodie mélancolique qui semble vouloir exprimer notre émerveillement face à la nature. C’est du rêve à l’état pur qui se fond finalement dans un grand mouvement symphonique.

La météo n’est pas souvent « rose » : « des nuages », « du mauvais temps », rien de très bon pour le moral... Pourtant avec « Tout est Bleu », Jean Michel Jarre nous bombarde d’une belle dose d’optimisme. Cette musique qui s’appuie sur le son de l’incontournable téléphone portable devant un haut-parleur marié à celui tout aussi incontournable du modem, met en contraste les prévisions moroses et un chant qui nous rappelle avec confiance que « tout est bleu dans tes yeux ! ». Rythmique qui donne envie de danser, nappes sensuelles, séquence époustouflante et petits sons bien placés font de ce passage un grand moment de bonheur.

Vient ensuite « Love Love Love », la chanson de la nymphomane, qui commence avec des vocalises vraiment très impressionnantes. C’est sans doute le morceau le plus étrange de l’album mais ça a tout son charme ! Un « pauvre » son de guitare vient ponctuer des percussions presque folles alors que Jean-Michel discute avec la nymphomane électronique... Un joli délire !

« Bells » est le titre le plus instrumental. On y retrouve une approche plus habituelle, alternance de couplets-refrains, avec des sons de choeurs et de cordes en fond. Le son de « lead » est par contre une surprise puisque c’est un gros son de cloche tubulaire à faire pâlir Mike Oldfield ! Le tout est en forme de clin d’œil, bourré d’humour, ponctué de petits sons pris entre le démarrage d’un Mac et l’ouverture désaltérante d’une canette...

« Miss Moon » est à l’opposé du précédent. Avec son ambiance posée, la musique nous fait traverser un paysage désertique, traduit en séquences sournoises, en sons mécaniques et en voix inquiétantes, jusqu’à ce qu’un arrosoir automatique intervienne pour donner du rythme au morceau ! La belle sculpture sonore évolue de manière étrange, matraquée par des percussions imprévisibles, des messages de morse, de longues nappes et le chant « extra-terrestre » de Dieirdre Dubois, aussi insolite que celui de Laurie Anderson dans Diva... Un magnifique voyage, bien inspiré, qui se termine par le rire sarcastique de l’arrosoir automatique...

« Give me a Sign » nous fait revenir à une ambiance de chanson traditionnelle, presque « dance ». Comme le chant d’une femme vers un fantôme dont elle attend un signe, ce morceau qui semble un peu trop stéréotypé n’en demeure pas moins un belle production, avec son enchevêtrement de séquences qui rappelle la belle époque de Chronologie.

Avec « Gloria, Lonely Boy », Jean Michel Jarre revient vers l’insolite. Il s’agit d’une chanson ponctuée par une rythmique surprenante et portée par des nappes très sombres. Inspirée par Almodovar, les paroles évoquent la vie d’un travesti, histoire de traiter des métamorphoses jusqu’au bout. La musique s’achève par un long finale qui mêle les sons électroniques et l’orchestre symphonique. Une très belle composition, pleine d’émotion.

L’album s’achève avec « Silhouette », un titre court qui nous permet d’« attérir » après les envolées du précédent. C’est une sorte d’hymne nostalgique qui sous une simplicité apparente, cache un enchevêtrement complexe de sons, entre des nappes planantes et un chant de sirène.

Métamorphoses a la particularité d’être un album « lourd » puisqu’il comporte douze titres et dure près d’une heure, ce qui n’était jamais arrivé dans la discographie du musicien. Avec son approche nouvelle, Jarre signe une musique vivifiante. L’évocation du chant y trouve tout son pouvoir et le traitement du son nous confirme toute l’inspiration d’un grand artiste que beaucoup croyaient enterré par les prétendues innovations de la scène électronique récente. Comme toujours, Jean Michel Jarre a su mêler tradition et modernité puisque l’ordinateur côtoie ici l’orchestre symphonique, et tout ceci sans compromis. Il a produit la musique qu’il avait envie de produire, à la fois sensuelle et intelligente, pour notre plus grand plaisir.
  

Je Me Souviens (4’24), C’est la Vie (7’10), Rendez-vous à Paris (4’18), Hey Gagarin (8’33), Millions of Stars (5’40), Tout est Bleu (6’21), Love Love Love (4’26), Bells (3’48), Miss Moon (6’08), Give Me A Sign (3’49), Gloria, Lonely Boy (5’32), Silhouette (2’29) .